ConscriptionL’enfance s’achevait sur le banc du collège
ou bien à l’atelier derrière l’établi,
à la ferme ou au champ, en un bureau vétuste,
ou même à ne rien faire, avant d’être conscrit...
Nous étions éduqués dans le respect de l’autre,
des lois, de la famille et des institutions.
NOUS, enfants de la guerre !Le pays s’éveillait dans un monde nouveau :
l’après guerre suivant quatre ans d’occupation.
On nous avait parqués dès lors par le mensonge,
aux ridelles plaqués de camions vert-de-gris
traversant tout Paris, la Ville des lumières.
Roulant à vive allure, un convoi s’étirait
dans les rues désertées.La cité pavoisait par ses monuments blancs.
Quelques-uns se taisaient, dignes, gorge serrée
d’autres hurlaient leur rage et, de vivre assoiffés,
s’abreuvaient du regard : vision éblouissante…
Cette clameur immense agrippait tout Paris :
des enfants de vingt ans que l’on arrache au nid,
pour "sauver l’Algérie !"Et les gens nous guettaient derrière leurs persiennes
en pensant, effarés, « peut-être LUI, demain !»
Aux arcs de triomphe nous clamions notre peine :
la loi nous enchaînait aux ridelles glacées,
et nombre d’entre nous ne se souviendraient plus !
Nous allions au devoir comme faisaient nos pères,
mais le cœur ulcéré.Du convoi, sans objet montaient des cris de haine,
car, presque résignés, nous ne comprenions pas...
Pourquoi recommencer après quatre ans de guerre ?
Et ces voix par milliers envahissaient la gare
jusqu’à ce que le train s‘éloigne enfin des quais.
Le silence régnait, la rupture était faite :
nous étions des soldats !À Marseille : bateaux, képis blancs et mer bleue.
Il n'y a plus d’enfants à bord de "l’Athos II" :
des revues circulent achetées à “Belsunce “.
Sur le pont, deux longs jours, s‘entassent trois mille hommes.
Quand surgit un matin, au loin, la blanche Alger,
nous demeurons muets, la beauté nous rend tristes ...
comme de vrais guerriers !JACQUES LAMY